LA JEUNE HOMOSEXUELLE
par Marie-Paule Candillier
QUELLE AVANCEE APPORTE LACAN PAR RAPPORT A FREUD, QUEL CONCEPT ET QUELLE LOGIQUE UTILISE-T-IL ?
COMMENT FREUD EXPLIQUE T-IL CETTE SITUATION, LA TENTATIVE DE SUICIDE ?
Ce cas a été étudié par LACAN en 1957 dans le Séminaire IV "La relation d'objet", à partir de l'étude de FREUD "Psychogénèse d'un cas d'homosexualité féminine" de 1920 qu'on trouve dans "Psychoses, névroses et perversions".
QUELLE AVANCEE APPORTE LACAN PAR RAPPORT A FREUD, QUEL CONCEPT ET QUELLE LOGIQUE UTILISE-T-IL ?
LACAN analyse le cas présenté par FREUD et les causes de l'échec du traitement pour élaborer ses propres concepts, en s'appuyant sur les théories freudiennes (primat du phallus, perversions), et en faire une analyse structurale.
Il situe chaque moment de la crise sur les différents registres Réel, Symbolique, Imaginaire et montre que FREUD par son interprétation a fait glisser le traitement analytique dans l'imaginaire ; il a ainsi précipité l'arrêt de la cure.
A propos de ce cas, comme dans tout le séminaire IV, LACAN critique fondamentalement la notion d'objet utilisée par les théories analytiques de l'époque, comme "bon objet" qu'il s'agirait de produire dans la cure.
LACAN revient à FREUD et rappelle que l'objet est perdu, ce qui se retrouve est toujours sur fond de perte fondamentale. Cette notion d'objet est à articuler dans le rapport du sujet à l'Autre sur l'axe symbolique. Sur l'axe imaginaire elle est impossible à comprendre si on n'introduit pas le phallus comme élément tiers entre la mère et le sujet (enfant).
Le cas de la jeune homosexuelle en introduisant la question de la perversion isole bien la fonction de l'objet dans son rapport au complexe de castration comme il s'énonce dans le fantasme du névrosé mais avec une différence notable. Dans la perversion, l'objet est un objet de substitution métonymique.
Ce cas éclaire bien les catégories du manque d'objet :
- objet imaginaire (l'enfant imaginaire)
- objet réel (l'enfant réel)
- Dame...
Il s'agit d'une jeune fille de 18 ans, d'une bonne famille de Vienne, qui s'éprend passionnément d'une femme de 10 ans son aînée. Sans en faire étalage elle affiche avec un défi tranquille ses rendez-vous avec la dame. Cela enrage le père, tandis que la mère ne prend pas les choses très au sérieux.
Quand elle a 16 ans sa mère a un autre enfant. Après cela, elle s'intéresse aux femmes mûres.
Jusque là, la jeune fille avait eu un développement normal. Elle semblait orientée vers la maternité. Vers 13 - 14 ans elle pouponnait un garçon des amis de ses parents.
Un jour, son père la voit en compagnie de son amie, il lui lance un regard furieux, la dame ne voulant pas d'histoires lui ordonne de la quitter pour mettre fin à cette histoire. La jeune fille fait une tentative de suicide en se jetant d'un pont de chemin de fer.
Après cette tentative de suicide la famille demande à Freud de la soigner. retour au début
COMMENT FREUD EXPLIQUE T-IL CETTE SITUATION, LA TENTATIVE DE SUICIDE ?
Il l'explique à partir de l'orientation normale de la fille vers le désir d'avoir un enfant du père. La petite fille au moment où elle entre dans l'oedipe se met à désirer un enfant du père comme substitut du phallus manquant. La déception de ne pas le recevoir joue un rôle essentiel pour lui faire quitter l'identification au père qu'elle avait faite en entrant dans l'oedipe et l'amener à reprendre la position féminine. L'enfant du père comme substitut du phallus apparaît à un moment donné de l'évolution comme objet imaginaire.
La jeune homosexuelle était engagée dans la voie d'une prise de possession de l'enfant imaginaire quand sa mère a réellement un autre enfant du père.
La déception due à l'objet du désir, le père, se traduit chez elle, par un renversement complet de sa position subjective ; elle s'identifie au père, ce qui équivaut à une régression narcissique et se tourne vers les femmes.
FREUD considère le phénomène comme réactionnel. Le ressentiment vis à vis du père est le facteur qui a un rôle majeur. La fille est aggressive envers le père. La tentative de suicide a lieu à la suite de la déception produite par son amie, l'objet de son attachement en quelque sorte homologue, qui la contrecarre. Il ne s'agirait que d'un phénomène de contre-agressivité, de retournement sur le sujet, de l'agression contre le père, combinée avec une sorte d'effondrement de toute la situation.
Quand la jeune fille choit au bas du petit pont, elle fait un acte symbolique qui n'est pas autre chose que le "niederkommen" d'un enfant dans l'accouchement. C'est le terme employé en allemand pour dire qu'on "est mis bas".
FREUD explique en quoi la situation a été sans issue à l'intérieur du traitement. La résistance n'a pas été vaincue, tout ce qu'on a pu dire à la patiente n'a jamais fait que l'intéresser énormément sans qu'elle abandonne ses positions dernières. FREUD signale néanmoins la présence du transfert dans les rêves de la patiente.
Parallèlement aux déclarations non ambiguës de la patiente sur sa détermination de ne rien changer à ses comportements envers la dame, ses rêves annoncent l'attente d'un époux ainsi que l'avènement d'un enfant. Le caractère idyllique presque forcé de l'époux annoncé par le rêve aparaît si conforme aux efforts entrepris en commun (celui des parents et de FREUD) que FREUD ne s'y trompe pas. Il s'agit seulement de lui montrer qu'elle le trompe, FREUD, qu'elle reproduit avec lui sa position fondamentale, le jeu cruel qu'elle a mené avec le père.
Quelque chose semble échapper à FREUD, à savoir qu'il s'agit là d'un vrai transfert et que la voie lui est ouverte à l'interprétation du désir de tromper.
Dans la mesure où il prend la chose dirigée contre lui, il interprète trop précocément, il fait entrer dans le réel le désir de la jeune fille alors que ce n'était qu'un désir et non pas une intention de le tromper. Il donne corps à ce désir alors qu'il s'agissait de révéler le discours menteur qui était là dans l'inconscient. Le traitement se trouve ainsi interrompu. On perçoit ici le glissement de l'analyse dans l'imaginaire. retour au début
On peut distinguer pour LACAN cinq temps dans l'instauration de cette perversion :
A l'orée de l'oedipe la jeune fille attend du père un enfant imaginaire comme substitut du phallus. Vers 13-14 ans elle chérit un objet qui est un enfant qu'elle soigne et auquel l'attachent des liens d'affection (un petit garçon des amis de ses parents). Elle se montre orientée vers la maternité.
C'est sur un plan symbolique que la jeune fille se satisfait de cet enfant, comme d'un enfant donné par le père. Si cela la soutient, dans le rapport entre Femmes, c'est qu'est déjà instituée pour elle la présence paternelle comme telle, le père symbolique
.
Mais il s'agit d'un enfant réel. La jeune fille pouponne un enfant consistant qui est dans le jeu. Elle satisfait ainsi la substitution imaginaire phallique, elle acquiert ainsi le pénis imaginaire et se constitue sans le savoir comme mère imaginaire.
Elle donne un substitut réel à l'enfant désiré du père, où elle trouve sa satisfaction.
Tout montre déjà chez elle une accentuation du besoin tandis que le père reste inconscient comme progéniteur. A un niveau inconscient l'enfant imaginaire comme susbstitut du désir du pénis est chez la jeune fille réel... Ce sont les prémices de la perversion.
Un enfant est donné par le père à la personne la plus proche de la jeune fille, la Mère. C'est alors que se produit un véritable renversement de la situation déjà instituée au niveau inconscient. La crise survient quand intervient l'objet réel . La présence d'un enfant réel, le fait que l'objet est là pour un instant réel, et qu'il est matérialisé par le fait que c'est la mère qui l'a à côté d'elle la ramène au plan de la frustation.
Quel est le plus important de ce qui se passe alors ?
- est-ce le retournement qui l'amène à s'identifier au père ? Cela joue son rôle.
- Est-ce le fait qu'elle devienne elle-même, cet enfant latent qui pourra en effet "niderkommen" quand la crise sera arrivée à son terme ?
Il y a au niveau de la relation imaginaire l'introduction de l'action réelle du père. La jeune fille donnant un substitut réel à l'enfant qu'elle désirait inconsciemment, du père, a été frustrée d'une façon particulière, lorsque l'enfant réel venant du père en tant que symbolique a été donné à la propre mère.
Si la situation révèe une relation de jalousie et si la satisfaction imaginaire à laquelle la fille se confiait a pris un caractère intenable, c'st parce que s'est introduit un réel, qui répondait à la situation inconsciente au niveau du plan de l'imaginaire.
Une sorte de retournement se produit chez la jeune fille, et la conduit à s'intéresser à des objets d'amour marqués du signe de la féminité. Ce sont des femmes en situation plus ou moins maternelles. Puis elle est amenée à une passion dévorante pour la Dame, qu'elle traite dans un style hautement élaboré, avec une passion sans exigence, avec le caractère du don. Elle aime comme un homme "mänliches typus" nous dit Freud. Elle est dans un position virile.
Par une sorte d'inversion, la relation du sujet avec son père, qui se situait dans l'ordre symbolique, passe dans le sens de la relation imaginaire. Il y a projection de la formule inconsciente du 1er temps dans une relation imaginaire.
Le père entre en jeu comme père imaginaire et non plus comme père symbolique. Dès lors s'installe une autre relation imaginaire que la fille complète comme elle peut. Ce qui était articulé de façon latente au niveau de l'Autre, commence à s'articuler de façon imaginaire à la façon de la perversion. La fille s'identifie au père et prend son rôle.
Elle devient elle-même le père imaginaire. Elle aussi garde son pénis et s'attache à un objet qui n'a pas, auquel il faut qu'elle donne ce quelque chose qu'il n'a pas. Cette nécessité d'axer l'amour non pas sur l'objet mais sur ce que l'objet n'a pas, nous met au coeur de la relation amoureuse et du don.
Dans la frustration en effet ce qui est en jeu est moins l'objet que l'amour.
Sur le schéma, le père qui était au niveau de l'Autre dans la première étape passe au niveau du moi. En effet, il y a la dame, l'objet d'amour qui s'est subsistué à l'enfant. En A, le pénis symbolique, c'est-à-dire ce qui est dans l'amour à son point le plus élaboré au-delà du sujet aimé. Le père symbolique est réduit à un objet métonymique, le pénis symbolique (la partie pour le tout).
Si la Dame est aimée c'est en tant qu'elle n'a pas le pénis symbolique mais qu'elle a tout pour l'avoir, car elle est l'objet élu de l'adoration du sujet.
Il s'est produit une permutation qui a fait passer dans l'imaginaire le père symbolique par identification du sujet à la fonction du père.
Simultanément la Dame réelle est venue à droite en matière d'objet d'amour justement de n'avoir pas cet au-delà, le pénis symbolique qui se trouvait d'abord au niveau imaginaire.
Ce qui se formule dans l'insconcient à la première comme à la troisième étape, c'est ramené au signifiant, ce qui est détourné à l'origine, à savoir son propre message venu du père sous une forme inversée, sous la forme de : " tu es ma femme", "tu es mon maître", "tu auras un enfant de moi". C'est à l'entrée de l'oedipe ou tant que l'oedipe n'est pas résolu, la promesse sur laquelle se fonde l'entrée de la fille dans le complexe d'oedipe, c'est de là qu'est partie la position et il s'articule dans le rêve une situation qui satisfait cette promesse.
Cette insistance de la chaîne symbolique n'est pas assumée par le sujet. Néanmoins le seul fait qu'elle se reproduise et qu'elle vienne à l'étape trois dans le rêve permet de dire que ce rêve même s'il paraît trompeur pour être au niveau imaginaire et en relation directe avec le thérapeute n'en est pas moins le représentant du transfert au sens propre. C'est là que FREUD pouvait mettre sa confiance et intervenir. Il aurait fallu que le transfert se passe essentiellement au niveau de l'articulation symbolique.
S'il est vrai que dans l'inconscient de l'homosexuelle c'est la promesse du père "tu auras un enfant de moi" qui est maintenue, et si dans son amour exalté pour la dame elle montre comme le dit FREUD le modèle de l'amour absolument désintéressé, de l'amour pour rien, tout se passe comme si la fille voulait montrer à son père ce qu'est un véritable amour, cet amour que son père lui a refusé. Ce que la fille démontre ici à son père, c'est comment on peut aimer quelqu'un non pas seulement pour ce qu'il a, mais littéralement pour ce qu'il n'a pas, pour ce pénis symbolique qu'elle sait bien, qu'elle ne trouvera pas dans la dame, parce qu'elle sait très bien où il se trouve, c'est-à-dire chez son père qui n'est pas impuissant. La perversion dans ce cas s'exprime par contrastes et allusions. C'est une façon de parler de toute autre chose tout en impliquant par la suite rigoureuse des termes mis en jeu une contrepartie qui est précisément ce que l'on veut faire entendre à l'autre. On retrouve là, la métonymie qui consiste à faire entendre quelque chose en parlant de tout à fait autre chose.
4ème Temps : Nouvelle action réelle du Père.@
Quand la jeune homosexuelle se jette d'un petit pont de chemin de fer, elle se trouve dépourvue de ses derniers ressorts. Jusque là elle avait été frustré de ce qui devait lui être donné, à savoir le phallus paternel mais avait trouvé le moyen de maintenir le désir par la voie de la relation imaginaire avec la dame. Celle-ci en la rejettant, elle ne peut plus rien soutenir du tout. L'objet est définitivement perdu et ce rien dans lequel elle s'est instituée pour démontrer à son père comment on peut aimer n'a même plus de raison d'être. A ce moment là elle se suicide.
Comme FREUD le souligne cela a également un autre sens, celui d'une perte définitive de l'objet. Ce phallus qui lui est décidément refusé tombe "niederkommt". La chute a ici une valeur de privation définitive et aussi de mimiques d'une sorte d'accouchement symbolique. On retrouve le côté métonynique. Si l'acte de se précipiter d'un pont de chemin de fer au moment critique et terminal de ses relations avec la dame et le père, FREUD peut l'interpréter comme une façon démonstrative de se faire elle-même cet enfant qu'elle n'a pas eu et en même temps de se détruire dans un dernier acte significatif de l'objet, c'est à se fonder uniquement sur l'existence du mot "niederkommt". Ce mot indique métonymiquement le terme dernier, le terme de suicide où s'exprime chez l'hommosexuelle ce qui est le seul et unique ressort de toute sa perversion, un amour stable et particulièrement renforcé pour le père.
Marie-Paule CANDILLIER